Le constat: une individualisation des salaires qui affaiblit le rôle et la place des accords collectifs
La CGT n’est pas encore en possession du bilan des négociations collectives de 2017 établi par la Direction Générale du Travail ; mais le premier paragraphe de celui de 2016 était déjà éloquent:
« avec plus de mille accords, l’année 2016 enregistre une baisse du nombre d’accords et avenants conclus aux niveaux interprofessionnel et de branche (-8%). L’activité conventionnelle au niveau de l’entreprise est, elle, à la hausse de 11% en raison principalement de la hausse du nombre d’accords d’épargne salariale résultant de la mise en œuvre des dispositions de la loi du 6 août 2015. »
Les retours des fédérations CGT, pour 2017 et début 2018, confirment une amplification de cette tendance. Les embauches ne sont pas en rapport avec la qualification, l’expérience ou le diplôme, mais selon le poste de travail.
En s’appuyant sur cette situation, le paiement au poste de travail, et non à la qualification, se généralise, auquel se rajoute une individualisation des salaires.
Ainsi, la loi sur la formation professionnelle acte la prise en compte des compétences en lieu et place des qualifications. L’inversion de la hiérarchie des normes actée par la loi El Khomri, et les ordonnances vont accentuer la tendance à négocier essentiellement dans l’entreprise.
De même, le projet de loi Pacte, qui va favoriser l’épargne salariale et l’épargne retraite, grâce à des cadeaux fiscaux, prolongera cette tendance tout en favorisant les retraites par capitalisation au détriment de la répartition. Ce sont les mêmes recettes que veut appliquer le gouvernement dans les fonctions publiques (gel du point d’indice pour 2019 et revalorisation de jours épargnés).
PROJET MACRON: DIVISER LE TRAVAIL – INDIVIDUALISER – ACCENTUER LA MISE EN CONCURRENCE ET AFFAIBLIR LE SYNDICALISME
Il y a bien sûr une cohérence et un vrai projet de société dans les réformes engagées par le gouvernement. Elles visent à aggraver la division du travail, à l’individualiser (alors qu’il a toujours une dimension collective). Elles accentuent la mise en concurrence des travailleurs dans une même entreprise, tant au niveau de la nation qu’au niveau international. Enfin, la diminution des accords collectifs, conjuguée aux deux lois travail, organisent l’affaiblissement progressif de toute représentation collective et, bien sûr, du syndicalisme.
QUELLE STRATÉGIE CGT ?
Seules des luttes permettent d’obtenir des accords collectifs sur les salaires et peuvent repousser l’individualisation des rémunérations.
La démarche CGT, pour gagner un autre rapport de force: comme pour tous les sujets revendicatifs, elle doit partir du travail réel.
Le capitalisme divise le travail; il est donc essentiel d’agir conjointement pour une autre répartition des richesses, et pour une autre organisation du travail dans l’entreprise.
Comme nous l’avons écrit lors des derniers congrès : «On ne changera pas la société sans transformer le travail.» Ce dernier est malade justement parce qu’on empêche les travailleurs de s’entraider afin de bien faire leur travail.
Notre bataille pour la qualité du travail, le sens, et une autre organisation du travail, comme le proposent les salariés des Ehpad, ou les cheminots actuellement, permet de regagner du collectif ainsi que la fierté du travail bien fait, essentiel pour revendiquer des augmentations de salaires collectives…
Faire parler les salariés de la réalité de leur travail permet de le valoriser. Par exemple, l’expérimentation engagée avec des aides à domicile a permis de mettre en lumière la réalité du travail de ces salariées, qui sont à la fois aides-soignantes, assistantes sociales, psychologues et pas seulement femmes de ménage, comme leur salaire l’entérine.
Du fait de la financiarisation de l’économie – soit la finance considérée comme un but en soi et non plus comme un moyen au service de l’économie – le travail est devenu invisible. Seul compte ce qui rapporte.
Remettre le travail au cœur, c’est s’opposer à la financiarisation et refuser de produire n’importe comment et n’importe quoi au détriment de la santé des hommes, comme de la nature.
L’argent existe
Il ne faut pas cesser de le répéter tant la fatalité sur le manque d’argent pèse dans les consciences.
Quatre déterminants doivent être martelés :
1. Les bénéfices des entreprises du CAC 40 ont explosé en 2017 avec 94 milliards d’euros et la part des dividendes versée aux actionnaires ne cesse de progresser passant de 30% au début des années 2000 à 67,5% en 2016, au détriment des salaires ( voir rapport de l’ONG Oxfam ). Pour les six premiers mois de l’année 2018, le montant des dividendes s’élèvent à 43,5 milliards d’euros. Aussi, les dividendes versés dans le monde ont augmenté au 2e trimestre 2018 de 12,9%, soit 497,4 milliards de dollars. Dans le top 10 de ces entreprises qui ont versé
46,5 milliards de dollars, 3 sont françaises (Sanofi, BNP Paribas et Total). La France a distribué 50,9 milliards de dollars soit +23,5%. Ces augmentations dépassent de loin celles des années précédentes.
2. Les aides publiques, exonération fiscale ou de cotisations sociales représentent autour de 200 milliards d’euros par an, soit disant pour créer des emplois sans aucune évaluation. C’est 10 points de PIB par an.
3. La dette publique a doublé après 2008 pour sauver les banques qui avaient spéculé sur les pauvres (subprime). Les fonctionnaires n’y sont pour rien (Note Eco n°151 mai 2018 ).
4. Si la part des salaires dans le PIB européen avait été la même que celle du début des années 1990, les travailleurs de l’Union européenne auraient, en
moyenne, gagné 1 764€ de plus en 2017 ! ( Salaire en Europe -CES )
Poursuivre et amplifier la campagne coût du capital
A l’instar du patronat qui ne cesse depuis plus de 40 ans de parler du coût du travail nous ne devons pas cesser dans tous nos écrits et interventions de parler de coût du capital.
Seul le travail crée de la richesse. Ce qu’on appelle la valeur ajoutée.
Celle-ci permet de payer les fournisseurs, la consommation, les salaires y compris les cotisations, les impôts et les investissements.
Le reste des dépenses, qu’il aille aux actionnaires, aux banques, ou aux propriétaires des locaux, sert à rémunérer le capital: c’est le coût du capital. Dans cet ensemble, le coût du capital financier (dividendes versés aux actionnaires, rachats d’entreprise, intérêts versés aux banques) ne cesse d’augmenter.
C’est ce coût du capital qu’il faut baisser car il pèse sur l’efficacité de l’entreprise, les investissements à réaliser et les salaires à augmenter.
Il faut se référer au livret coût du capital et aux 4 tracts «Mon salaire pour vivre c’est capital».
Obtenir des négociations pour l’égalité professionnelle femme/homme en exigeant :
• la révision des grilles de salaire, notamment pour les plus bas échelons car ce sont en général les femmes les plus touchées;
• que toutes les entreprises fournissent des données réelles sur toutes les rémunérations et sur toute la carrière des salarié-e-s. Seule une entreprise sur deux fournit des données statistiques et se contente en général de donner une photo très floue de la réalité à savoir les salaires de base pour les grands catégories d’emploi;
• que l’égalité soit effectivement négociée dans les classifications professionnelles et que toutes les classifications fassent l’objet d’une remise à plat des critères d’évaluation des emplois pour revaloriser les emplois à prédominance féminine.
Le salaire est un salaire socialisé
En toute cohérence, l’ensemble des mesures engagé par le gouvernement diminue les cotisations à la sécurité sociale qui font partie du salaire brut pour les transférer vers l’impôt, notamment la CSG. Les cotisations sociales ouvrent des droits pour des prestations relatives, soit à des risques (maladie, chômage, invalidité), soit à la qualité de votre vie future (retraite) ou de celle de vos enfants (famille).
L’impôt ne crée pas de droit
Référence au tract «augmenter les salaires c’est bon pour le pouvoir d’achat et la sécurité sociale» et formation syndicale sur la fiche de paie voir également par exemple conférence gesticulée de Franck Lepage ( Youtube Franck Lepage ).
Désocialisation des heures supplémentaires
S’agissant des heures supplémentaires «désocialisées»,Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), indique que la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires mise en place par Nicolas Sarkozy fut à l’origine de pertes d’emplois «comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011» sans que sur la même période le pouvoir d’achat des ménages s’en ressente. Bref, cette mesure est un «tue l’emploi» !
Avant toute négociation salariale construire les revendications avec chaque catégorie de salariés
La CGT agit pour la reconnaissance des qualifications et pour stopper cette spirale qui tend à payer le salarié à partir de son poste de travail; nos revendications salariales ne peuvent donc pas être établies autour d’une même somme pour tous et décidées entre quelques militants.
Lors de négociations salariales dans les entreprises et les branches, la référence de mesure est l’indice des prix à la consommation de l’Insee. Or, cet indice des prix à la consommation n’est pas un indice du coût de la vie. Il est utilisé par les employeurs privés, comme publics, dans le but de minorer les augmentations générales des salaires.
Il nous faut reconstruire les cahiers revendicatifs à partir des besoins de chacun en établissant, avec les intéressé.e.s, un budget type pour une personne ou une famille
afin qu’elle vive dignement.
Les cahiers revendicatifs doivent également mettre en avant le paiement de la qualification, que ce soit le diplôme ou l’expérience professionnelle, afin de construire des grilles de classification partant du Smic à 1 800€ brut comme salaire pour un ouvrier sans qualification reconnue ( repères revendicatifs fiche n°12 CGT ).
Ne pas laisser les négociations sur l’intéressement, l’épargne salariale ou l’épargne retraite aux mains des employeurs et des autres organisations syndicales
Si nous agissons pour des augmentations collectives, ne pas jouer notre rôle sur les augmentations individuelles, c’est laisser un boulevard aux employeurs pour n’utiliser que cette négociation.
À partir du travail réel, nous devons débattre avec chaque salarié sur les dimensions collectives dans le travail plutôt que la division et la mise en concurrence.
• Il faut construire avec les salariés d’autres critères d’évaluation individuelle que ceux qui n’abordent que des objectifs chiffrés, sans prendre en compte le réel du travail.
• Il faut agir pour la socialisation de toutes les primes, c’est-à-dire que les cotisations sociales soient prélevées sur tous les éléments du salaire.
• Il faut aborder les négociations sur l’intéressement,l’épargne salariale ou retraite en rappelant aux salariés les fondamentaux que sont le salaire, comme paiement de la force de travail quels que soient les profits réalisés ou non par l’entreprise.
Formation syndicale
• Il existe des formations «fiche de paie» essentielles pour tous les syndiqués.
• 2 séances de formation salaire sont organisées par la Confédération à Courcelles en 2019:
– du 18 au 22 mars 2019
– du 14 au 18 octobre 2019
Six thèmes seront traités
1. Coût du capital, création de la valeur ajoutée, dette publique avec un contenu plutôt économique
2. Notre démarche revendicative, la négociation
3. Salaire socialisé
4. Qualification, grille de classification, déroulement de carrière
5. Egalité professionnelle
6. Europe inter : réalité du salaire minimum. Campagne de la CES